"La Guadeloupe m’a soufflé l’histoire" – Entretien avec l’auteur des Assassins de l’aube
Quelles ont été vos inspirations pour Les assassins de l'aube ?
J’avais cette intrigue à l’esprit depuis longtemps mais je n’avais pas encore décidé où elle prendrait place. Je n’avais pas trouvé de lieu et après un séjour en Guadeloupe, c’est là que tout s’est éclairé. C’était le lieu idéal.
Donc sans ce voyage en Guadeloupe, ça aurait pu se passer n’importe où ?
Oui, tout à fait. Au départ, je pensais à la Corse, mais il y avait des choses qui n’allaient pas pour le bon déroulé de l’histoire, et la Guadeloupe, ça a été une révélation où je me suis dit “c’est parfait”.
On y retrouve beaucoup de retournements de situation et des fausses pistes. Comment construisez-vous vos intrigues ?
Dans ce livre, c’est une intrigue un petit peu classique en termes de roman policier car on a un tueur en série, une enquête, avec des héros policiers. Contrairement à d’autres romans que j’ai écrit, j’avais envie de revenir à un polar dans une facture un peu plus classique. Concernant la construction, je devais aller vite dans l’enquête. C’est un roman qui ne laisse aucun temps mort, en repoussant le dénouement, le moment où le lecteur comprend qui est le tueur le plus possible, et ensuite, j’ai essayé de mettre un certain nombre d’autres pistes ou d’insérer des thèmes comme l’esclavage, la différence en Guadeloupe etc.
Avez-vous rencontré des défis particuliers lors de l’écriture des Assassins de l’aube ?
Dans ce roman, le plus difficile a été de repousser le plus possible la vérité quant au coupable en laissant quand même des indices au fur et à mesure pour qu’on puisse quand même se dire “ah oui, c’est vrai, il y avait ça”. Puis, ce qui était compliqué, c’est que je ne suis pas guadeloupéen. J’y ai passé un petit peu de temps, mais c’est tout. J’ai beaucoup lu sur l’île pour me documenter au maximum. Je voulais essayer d’être le plus juste possible. Je ne voulais pas tomber dans les clichés et ça m’a demandé pas mal de lecture et de relecture. C’était un enjeu de trouver la bonne distance par rapport à la Guadeloupe qui est un territoire avec une histoire très particulière, avec encore des conflits ouverts, une mémoire qui peut être parfois assez vive.
Mais j’ai apprécié ce défi d’écriture dans ce roman : me plonger dans un territoire où je dois apprendre à le connaître, à le comprendre.
C’est vrai que j’ai trouvé que la Guadeloupe était comme un personnage principal dans ce roman.
C’était le but. Qu’on connaisse ou non l’île, je voulais montrer la réalité sociale au-delà de l’aspect carte postale, mais tout en le conservant un peu. C’était d’ailleurs un petit peu la difficulté de montrer les deux. Ce roman permet de dépayser les lecteurs sans bouger de chez eux, et peut-être leur donner envie de découvrir par eux-mêmes l’histoire de cette île.
Et les vieux sorciers guadeloupéens, ça existe vraiment ?
Effectivement, les quimboiseurs existent. C’est très présent dans la tradition antillaise. Les jeunes générations y croient un peu moins, mais en général, on fait confiance aux anciens.
Le personnage principal, Valéric, est un homme marquant. Comment l’avez-vous conçu ?
C’était relativement simple de le créer. Il fallait que tous mes enquêteurs aient une histoire particulière, et le fait que ça se passe en Guadeloupe, Valéric ne pouvait pas être un inspecteur parisien classique.
L’idée est venue très vite qu’il allait revenir sur l’île et qu’il serait partagé entre sa carrière en métropole - et qui en fait un flic rationnel, rompu à l’administration - et son passé en Guadeloupe. Il est confronté entre deux identités et il continue de faire son métier du mieux qu’il peut. Il refuse d’aller vers les spécificités locales, mais évidemment il va être rattrapé par son passé.
C’est toujours plus simple d’avoir des personnes face à un dilemme et ça les rend intéressant car ils ont un choix à faire. Ce n’est pas un personnage lisse dont on peut tout savoir à l’avance.
Vous avez une capacité pour capter vos lecteurs. Avez-vous une méthode d’écriture bien définie ?
Je travaille beaucoup la musicalité des textes, le rythme. Je recherche la fluidité de lecture, et aussi une fluidité dans la narration de l’histoire qui fait que le lecteur va prendre le livre et va se retrouver embarqué dans l’enquête.
Il y a forcément des hauts et des bas, des ruptures de rythme, et c’est vraiment un travail que je fais beaucoup en pensant vraiment au lecteur avant tout. J’essaie d’anticiper quelles pourront être ses émotions, comment je les fais monter et redescendre. C’est quelque chose qui est un vrai principe quand j’écris. Il faut que j’accroche le lecteur dès le début et qu’il ait en permanence l’envie de continuer de tourner les pages.
Quand vous commencez un nouveau roman policier, au stade de l’écriture, vous savez déjà qui va être le tueur, comment l’enquête va se résoudre ?
Alors en commençant Les assassins de l’aube, j’avais déjà quasiment tous les éléments dont j’avais besoin. J’avoue que sur le coupable, j’ai un peu évolué, mais je l’avais déjà en tête, donc je dirai que j’avais 90 % des éléments ainsi que le découpage du roman.
Cela étant, on s’aperçoit de quelques incohérences au fur et à mesure de l’écriture, il peut y avoir des choses qui fonctionnent mieux quand on les écrit, donc il faut réajuster en permanence. Et c’est parce que ma trame narrative était solide au moment de commencer l’écriture que j'ai pu modifier des éléments sans me perdre dans l’histoire et sans que tout s’écroule.
Écrivez-vous en pensant à une adaptation cinématographique ou télévisée ?
Je ne pense pas du tout aux adaptations lorsque j’écris, mais après, c’est vrai que j’essaye d’avoir des images lors de l’écriture. En particulier lorsque j’étais en Guadeloupe, c’est ce que je voyais qui m’a donné envie d’écrire ce roman. Et je n’ai rien inventé visuellement. Il fallait qu’avec des mots, je réussisse à faire ressentir ça aux lecteurs pour qu’ils puissent le voir à leur tour.
Pourquoi avoir accepté la présidence du salon Lire à Limoges ?
Ce salon dans votre ville est un salon important pour promouvoir la littérature. Ça fait aussi plusieurs années qu’on voulait m’inviter mais les calendriers ne concordaient pas. C’est donc un salon que j’avais envie de faire depuis longtemps et en plus, on m’a proposé de le présider cette année, ce qui le rend encore plus intéressant. Je suis souvent allé à Brive, mais jamais à Limoges et ça me semblait être une évidence de me rendre dans ce grand salon généraliste un jour. En plus, je ne connais pas trop le Limousin et c’est l’occasion.
Qu’est-ce qui vous plait dans les salons littéraires ?
(rires) En plus d’être choyé pendant tout un week-end, c’est que dans les salons, et à Limoges notamment, il existe un enthousiasme autour des événements littéraires qui existe depuis très longtemps. Les gens viennent en famille faire signer leurs livres, rencontrer les auteurs. Ça suscite un enthousiasme important et ça reste très rassurant par rapport à la lecture. On se pose toujours la question sur l’avenir des livres et c’est extrêmement rassurant quand on se rend dans un salon et de discuter avec ces personnes.
Puis, quand on est auteur, on écrit seul chez soi. C’est un parcours assez solitaire, alors les salons nous permettent de sortir de nos grottes et de retrouver des collègues, de parler avec nos lecteurs. Ça permet de se remotiver et de se dire qu’on n'écrit pas pour rien.
Ce que j’aime aussi, et je pense que ce sera le cas à Limoges, c’est cette idée que la lecture dans ces grands salons populaires, on n’est pas dans un rapport élitiste à la lecture, il y a tout type de visiteurs. C’est une manifestation mélangée et ça, c’est chouette. Puis il y a un côté événementiel qui pousse les gens à aller vers les livres. C’est comme une espèce de responsabilité pour nous, écrivains, de réussir à attirer les lecteurs pour aider les libraires à vivre.
On a une vraie particularité en France, c’est d’avoir cette densité de salons littéraires un petit peu partout sur le territoire. Une très grande densité d’écrivains aussi qui s’y rendent pour signer pendant deux voire trois jours, derrière leur table. Et ça, ça n'existe nulle part ailleurs dans le monde. C’est un modèle français que l’on se doit de chérir.
Parmi votre panel bibliographique, on se promène à Giverny, à Rouen, en Corse, à quand Limoges en toile de fond ?
(rires) dans chaque salon où je me rends, on me demande à quand leur ville dans mes romans. Alors, autant je peux faire plusieurs salons par an, mais pas plusieurs romans en un an. Mais qui sait, un jour, Limoges pourra, pourquoi pas, faire partie des lieux dans lequel un crime se passera.
Clémentine Malzard, pour le 2 mois à Limoges